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Art. 13

Théâtre, danse – Mise en scène, écriture et scénographie Phia Ménard, interprétation et chorégraphie Marion Blondeau, compagnie Non Nova, à la MC93 Bobigny.

© Christophe Raynaud de Lage

Le spectacle fait référence à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui pose d’une part que « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État », d’autre part que « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » Dans le droit fil de cet article, le nom du petit garçon de trois ans, Aylan Kurdi, échoué sur une plage de Turquie – image qui avait fait le tour du monde – est énoncé en préambule. Avec sa famille il venait de Syrie et avait traversé la Méditerranée pour gagner l’Europe. Phia Ménard place donc la barre de ses intentions entre philosophie, histoire, politique et esthétique.

Après ouverture du rideau de fer, on pénètre dans un jardin à la Le Nôtre comme par effraction en suivant une créature des plus étranges mi-ange mi-bête, sorte de reptile qui, au long du spectacle, va détruire ce qui lui fait obstacle ; pour première cible, un nu des plus classiques, posé sur un socle au centre des parterres et gazons parfaitement maitrisés et lissés et la lecture que l’on peut faire de l’anéantissement du masculin quand on se souvient que Phia Ménard a opéré ce glissement du masculin au féminin. Tous les chemins de vie qui contredisent et entravent la trajectoire de l’extravagante créature seront détruits. Nous suivons son parcours de destruction, à la recherche d’une hypothétique liberté sous le bruit épouvantable des bombardiers, tronçonneuses et autres marteaux-piqueurs – des bouchons d’oreilles sont distribués aux spectateurs, à l’entrée.

Tandis que ce personnage piétine le bon ordre mondial, des nuages passent sur un grand écran en fond de scène. La statue est au sol, l’homme descendu de son piédestal, en miettes. La créature s’acharne, à coups de hache, sur le socle. Les pierres répandues au sol balisent une nouvelle allée qui ne mène nulle part. Deux hommes en combinaison de survie retirent les décombres et les traces de ce premier socle. La créature ramasse et traîne comme une peluche d’enfant, son doudou, seul vestige d’avoir été tandis que deux pieds de pierre, monumentaux, semblables à ceux des colosses de Memnon sur la route de Thèbes, se découvrent et semblent tout dévorer sur leur passage.

Dans ce jeu des échelles règne une évidente tension entre la créature, petit personnage interprété par Marion Blondeau, mobile et inquiétante – qui signe aussi la chorégraphie du spectacle – et le monumental, statique et hiératique, de l’environnement scénographique. Le contexte distille de l’inquiétude et une perte des repères. La créature-reptile glisse silencieusement d’un obstacle à l’autre comme une gladiatrice déterminée au combat et conduit le spectacle dans la défaite de la pensée et l’aveuglement des sociétés.

Artiste pluridisciplinaire, Phia Ménard est connue pour sa radicalité et pour l’effacement des frontières entre théâtre, danse et performance. Elle nous mène ici dans une forme d’art conceptuel vers des mondes engloutis où le nihilisme l’emporte.

 Brigitte Rémer, le 24 février 2024

© Christophe Raynaud de Lage

Assistanat à la mise en scène Clarisse Delile – interprétation et chorégraphie Marion Blondeau – dramaturgie Camille Louis – scénographie Phia Ménard, Clarisse Delile et Éric Soyer – création sonore Ivan Roussel – création costumes Fabrice Ilia Leroy assisté de Yolène Guais – création lumière Éric Soyer assisté de Gwendal Malard – réalisation scénographie Rodolphe Thibaud, Ludovic Losquin, David Leblanc, Nicolas Marchand – régie plateau David Leblanc, Nicolas Marchand – stagiaires Ayoub Kallouchi (mise en scène), Vanessa Schonwald (scénographie) – régie générale Olivier Gicquiaud – régie lumière Aliénor Lebert – administration, production Claire Massonnet, Constance Winckler, Justine Lasserrade – production Compagnie Non Nova, Phia Ménard.

Vu le 27 janvier 2024, à la MC 93 Bobigny – En tournée : du 7 au 9 mars 2024 au Lieu Unique,  centre de culture contemporaine, Nantes –  du 13 au 16 mars au Théâtre National de Bretagne, centre curopéen théâtral et chorégraphique, Rennes – les 20 et 21 mars aux 2 Scènes, scène nationale de Besançon – les 28 et 29 mars à La Comédie de Clermont-Ferrand – le 9 avril à l’Agora, pôle national cirque de Boulazac (24), le 12 avril 2024 à l’Espace Jéliote, centre national de la marionnette d’Oloron-Sainte-Marie (64) – les 26 et 27 avril 2024 au De Singel, centre artistique international, Anvers (Belgique).